17
juin

Subsister après l’école d’art

Il y a plus ou moins un an, j’ai franchi le pas entre l’école d’art et le monde de la communication en rejoignant les effectifs d’une agence digitale. Bien sûr, il m’arrive quelques fois de regretter de n’avoir que peu de temps à consacrer à ce qui était l’objet premier de mes études, mais je me console à l’idée qu’il s’agisse d’une occasion bienvenue de laisser ma pratique en jachère quelques temps, et également d’une opportunité d’explorer un nouveau champ de connaissances, en l’occurrence le marketing (en plus de pouvoir, accessoirement, goûter à un semblant de stabilité financière).

Profondément imprégné par ma formation initiale, je ne peux néanmoins m’empêcher de vouloir tout ramener à une certaine proximité de l’art, peut-être par crainte de me laisser emporter trop loin par le courant. Par chance, l’art a plutôt tendance à s’ouvrir aux autres disciplines et même à s’en nourrir, à la manière d’un morceau de pâte à modeler qui en ingèrerait d’autres pour devenir une masse informe aux couleurs dégueulasses.

C’est donc tout naturellement que mon intérêt se porte sur les ponts possibles entre les deux blocs ; les liens formés par l’utilisation de techniques et outils marketing par les artistes et autres acteurs et institutions de l’art. Certains peuvent paraître évidents, comme la relation quasi-intrinsèque qui est à l’œuvre au sein du marché de l’art ou art market — qui donnerait un mélange de pâte à modeler presque totalement homogène —, ou le format de l’exposition, qui accorde de la visibilité et un potentiel de diffusion à un ou plusieurs artistes et leurs œuvres le temps d’un évènement au sens large — que je visualiserais cette fois comme deux morceaux de pâte à modeler greffés l’un à l’autre sans pour autant se mélanger.

Mais la vente et la promotion, évoquées dans ces deux exemples, ne sont pas nécessairement les seules fins du marketing, et son intégration peut également débuter dans les étapes de la création de l’œuvre, à partir du moment où sa mise en espace et sa mise en relation avec quelconque élément extérieur à elle sont envisagées ; car de ces agencements et interactions particuliers découleront des expériences variables, celles des individus qui composeront son potentiel public.

Les stratégies marketing semblent justement tourner autour de l’expérience : celle du client avant, au moment de ou après l’achat ; face à une marque, un point de vente, un produit ou lors de l’utilisation de ce même produit. Sans aller jusqu’à comparer l’œuvre d’art au produit de consommation, je ne peux m’empêcher de penser que l’approche marketing et la démarche artistique ont en commun que leur communication repose sur les effets qu’elle pourrait induire sur des éléments comme les émotions, les sentiments, la culture, les connaissances (ou le manque de connaissances) des individus auxquels elles sont destinées, que les méthodes de cette communication soient fondées sur des données statistiques précises ou de pures intuitions.

Si dans tous les cas, cela peut s’apparenter à une certaine forme de manipulation psychologique, les divergences se situent dans les intentions et les objectifs qui se trouvent à la source de ces méthodes, ainsi que dans les conditions nécessaires à la production de l’expérience, et enfin dans cette expérience elle-même. Inciter à la consommation, diffuser un message politique, communiquer une certaine vision du monde, exprimer un état d’esprit, etc., sont autant de raisons possibles de recourir au marketing, mais toutes ne produisent évidemment pas la même expérience.

Je ne souhaite pas développer ces réflexions avec l’objectif de fournir un manuel sur ce que serait une communication artistique efficace (car j’en serais de toute façon incapable). Il s’agit plutôt d’une démarche orientée vers la volonté modérément idéaliste de recentrer la pratique artistique sur une prise en considération augmentée et assumée de son public, de ses “consommateurs” et des expériences que pourraient produire leur rencontre.

Dans ce raisonnement, le marketing ne doit pas être imaginé comme une entité sur laquelle la publicité et la propagande auraient la mainmise, mais plutôt comme un ensemble d’outils libres qui se trouvent être également à la disposition des artistes pour une utilisation consentie et éclairée.

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