01
Nov

(Français) Point

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2022 m’a mis à terre à la façon du chasseur abattant un canard en plein vol. Difficile de ne pas incriminer le pessimisme ambiant qu’a provoqué la succession d’une pandémie, d’effets de plus en plus visibles du changement climatique et d’une nouvelle guerre en Europe, entre autres. La désillusion fut grande pour moi qui me croyais endurci par ces années passées à visionner des vidéos d’abattoirs, à fantasmer la chute spectaculaire du capitalisme et du patriarcat, ou de manière plus générale, à m’agiter face à des oppressions dites systémiques.

Ce que je semblais avoir perdu de vue se trouvait pourtant à hauteur de mes deux yeux : mes fragilités les plus tangibles, qu’elles soient les conséquences ou non de phénomènes lointains, se situent bien à l’échelle humaine ; à mon échelle. La lutte contre la maladie, les soucis pécuniaires, les conflits familiaux ou la préservation des liens amicaux et sentimentaux sont certes des combats moins glorieux que ceux qui animent les plus grands mouvements militants, mais ils n’en demeurent pas moins essentiels à notre survie en tant qu’individu.

C’est par exemple à cette échelle que se racontent mon échappée d’un environnement professionnel embourbant et nocif, ou encore l’état dépressif dans lequel m’enferment mes incertitudes face à l’avenir. Depuis quelques mois, je dois également composer avec un nouveau paramètre : mon diagnostic de Trouble du Spectre de l’Autisme.

Je me souviens d’un vendredi 13 mai au goût étrange où mon contrat de travail s’achevait dans le stress et la précipitation des derniers rendus et passations. On m’annonçait dans le même temps les résultats de tests passés quelques semaines auparavant, à l’issue desquels j’entrevoyais déjà ce qui allait m’être annoncé. Je célébrais donc doublement, et naïvement, la fin d’une longue période de mal-être au travail ainsi que les termes nouvellement posés sur une autre propriété déterminante de mon identité.

J’ai très vite été ramené à la réalité du diagnostic : on m’avait laissé entre les mains une information dont je ne connaissais pas moi-même encore les implications, les TSA regroupant un ensemble très large de caractéristiques qui se manifestent de presque autant de façon qu’il y a de personnes concernées par ces troubles. Dans mon cas, m’appuyer sur des témoignages ou consulter des listes de comportements stéréotypés les plus fréquents n’ont même fait que renforcer mes doutes jusqu’à me pousser à la remise en question de ce diagnostic et de ma légitimité à me considérer comme une personne autiste. En outre, bien que cela n’émerge certainement pas d’une mauvaise intention, le fait que l’on me rassure sur “l’invisibilité” de mon autisme n’a fait que participer davantage à ce déni.

Au fil du temps et d’un travail de documentation qui se poursuit encore aujourd’hui, j’ai néanmoins acquis des éléments de compréhension qui m’ont au moins permis de dépasser la phase d’acceptation du diagnostic. Pour ce qui est des effets concrets des troubles sur mon quotidien, l’identification de comportements spécifiques tels que le camouflage social ou le burn-out autistique m’ont permis, à défaut de les résoudre, de comprendre certaines difficultés auxquelles je suis confronté de manière inhérente, et aussi d’être un peu plus indulgent envers moi-même.

Je ne peux toutefois pas m’empêcher de parfois m’affaisser sous le poids de mon inadaptabilité. Relire mon histoire personnelle, déchiffrer mon environnement et imaginer un avenir sous le prisme de la racisation, de mes questionnements sur mon genre et ma sexualité (ainsi qu’une pléthore d’autres propriétés) m’étaient déjà assez coûteux. Y intégrer ce nouveau paramètre dont je soupçonnais en réalité l’existence ne rend certainement pas la tâche plus aisée, mais au moins plus pertinente. Je pense ainsi être capable de situer un peu plus précisément ma position dans ce monde, avec la désagréable impression d’être sans cesse repoussé un peu plus loin vers sa périphérie. Sans surprise, ce parcours me ramène toujours au même constat : nous vivons dans une réalité qui devient de plus en plus hostile à mesure que l’on s’éloigne des normes définies.

Pour conclure sur une note positive, j’ajouterai que j’ai la chance et le privilège d’être et d’avoir été accompagné dans mon existence par des personnes bienveillantes et attentionnées, et d’évoluer dans un environnement qui m’autorise quand même des moments de répit dans cette lutte interminable qu’est la vie.

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